Référence: l'article ci-dessous
"Introduction à l'anatomie des cactées. Première partie"
de James D. Mauseth est parue dans la revue Succulentes N°1-1985, p 7-12. Photos J. Mauseth.
James D. Mauseth. Department of Botany, University of Texas, Austin, Texas , USA.
Article original publié dans "Cactus and Succulent Journal" (US), vol. 54 n°6-1982 p.263-266. Traduit par Jean-Marie Solichon et Dominique Burle, Jardin Exotique, Monaco.
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Nous nous émerveillons tous des formes de croissance exotiques et de la beauté exquise de nos plantes favorites, les cactées. Cependant, la taille imposante des Pachycereus, l'étalage éphémère des fleurs d'Epiphyllum, l'armure imposante fournie par les épines ne sont que quelques-uns des aspects les plus évidents parmi les nombreux que nous offrent les cactées inspirant l'émerveillement. A l'intérieur des plantes, à un niveau microscopique, les cactées sont même plus belles, plus diverses et nous fournissent plus de raisons de les considérer comme des sujets véritablement incroyables.
Un trait remarquable de l'anatomie des cactées est que l'excitante diversité des végétaux qui nous entourent et nous attirent, est le résultat d'un petit nombre de types de cellules et de tissus différents. Des milliers d'espèces distinctes résultent de la disposition de ces cellules selon différents schémas.
AXES
En théorie morphologique courante, les plantes à fleurs, telles que les cactées, sont composées de 3 organes: les axes, les racines et les feuilles. Chez les cactées, les axes sont certainement les plus évidents et les plus élaborés de ces 3 organes.
Quand on examine l'axe d'une plante comme Pereskia ou Pereskiopsis, d'une manière externe, sans dissection, l'axe caulinaire (tige) semble être composé uniquement de 2 sortes de régions: 1) les nœuds où les feuilles sont insérées et 2) les entrenœuds entre les nœuds (figure 1).
Fig. 1 - Axe de Pereskiopsis velutina. Les feuilles sont insérées sur l'axe au niveau des nœuds; chaque nœud possède aussi un bourgeon axillaire (l'aréole). Notez que les feuilles à l'apex sont plus petites que les autres feuilles. (Bourgeon axillaire: bourgeon naissant à la base de la feuille).
En plus de la feuille qui apparaît au nœud, il y a un bourgeon localisé à l'aisselle de la feuille. Chez les végétaux non cactacés, ce bourgeon axillaire reste habituellement dormant durant une ou plusieurs années, puis croît pour produire un rameau ou une fleur. Chez les cactées, ce bourgeon n'entre pas en dormance, mais commence immédiatement à se développer en un rameau extrêmement spécialisé, l'aréole. Il n'est pas immédiatement évident que l'aréole est un rameau: en fait les botanistes supputent sur sa nature depuis des années, mais on admet maintenant que les épines sont des feuilles hautement modifiées et l'axe caulinaire lui-même est si court qu'il est presque méconnaissable. Ainsi les cactées ont 2 types de feuilles très différentes: les feuilles "normales" comme chez Pereskia et les épines.
Chez les plantes des genres tels que Pereskia, Pereskiopsis et Quiabentia, cette disposition en nœuds et entrenœuds est facile à voir et à comprendre, mais chez beaucoup d'autres cactées, les feuilles de l'axe sont si réduites qu'elles sont presque (ou complètement) invisibles. Ceci ne signifie pas que les nœuds ne sont pas présents, parce que leur disposition est encore indiquée par les aréoles; c'est seulement que la feuille qui est présente sous l'aréole est trop petite pour être détectée facilement (figure 2).
Fig. 2. Cette feuille de Cephalocereus senilis, quoique microscopique, est pleinement développée.
Un autre problème peut être illustré en observant des Coryphantha, Mammillaria, Pelecyphora (figure 3) ou n'importe quelle cactée globulaire: virtuellement, toute la tige est couverte d'aréoles - le corps entier est constitué de nœuds, il n'y a pas d'espace entre eux pour les entrenœuds. Ceci n'est pas réservé seulement aux cactées. Pensez aux Aloe, Haworthia, à la laitue et au choux.
Fig. 3. Chez Pelecyphora et les groupes de plantes apparentés, le corps est entièrement couvert de nœuds; il n'y a aucun entrenœuds.
En observant la figure 1, on note qu'il y a un gradient de la taille des feuilles le long de la pousse: les feuilles inférieures sont plus grandes et plus achevées, les feuilles plus élevées sont plus petites et manifestement encore en croissance. Il est visible que de nouvelles feuilles sont encore en train de se former et de s'étendre. Si on observe une plante réelle au lieu de la figure 1, on peut voir qu'à l'apex véritable, les feuilles sont si petites qu'elles sont difficiles à voir. Si on observe la figure 4 ou des plantes en croissance d'Opuntia et de Nopalea, la situation est très différente. Toutes les feuilles d'Opuntia et de Nopalea ont la même taille et semblent être au même stade de développement. Un examen minutieux de l'apex (sommet de la tige) de l'axe ne révèle pas de feuilles plus jeunes. La raison de ceci est qu'il y a 2 modes différents de croissance chez les plantes.
Fig. 4. Un axe à croissance définie de Nopalea. Noter que toutes les feuilles sont présentes, celles à l'apex de l'axe sont aussi grandes que celles qui sont à la base. L'axe s'accroît en absorbant de l'eau, aucunes nouvelles feuilles ne seront formées.
1 - Croissance indéfinie
Le nombre de feuilles produites durant une période de croissance n'est pas défini par la plante elle-même mais par les conditions de l'environnement: si la saison est bonne, avec beaucoup d'humidité, une température appropriée et un sol riche, la plante poussera vigoureusement et de nombreuses feuilles seront produites. Dans une serre, certaines plantes peuvent être maintenues continuellement en croissance même pendant l'hiver. Cependant, si les conditions sont pauvres, la croissance l'est aussi, et peu ou aucune feuille ne seront produites. Chez les cactées colonnaires, les différences annuelles de croissance peuvent être vues. Habituellement elle diffère grandement d'année en année, reflétant les variations de l'environnement (figure 5).
Fig. 5. Les différences de croissance annuelle de ce Neodawsonia apicicephalium sont clairement visibles. Dans une serre en atmosphère contrôlée, des espèces telles que celles-ci peuvent être maintenue continuellement en croissance et les axes sont droits sans constrictions annuelles.
2 - Croissance définie
Le nombre de feuilles produites par période est souvent soigneusement contrôlé par les plantes à croissance définie: les conditions de l'environnement ont peu d'effet. Dans le cas de quelques Opuntia cultivées à l'extérieur, les raquettes d'une plante seront de taille similaire et toutes auront un nombre d'aréoles semblable. Quand les jeunes raquettes sont juste en train de se développer au printemps, toutes les feuilles ont déjà été formées et malgré qu'il soit très tôt dans la saison de croissance, la formation de feuilles et de tissus est arrêtée. Avec beaucoup d'effort, de l'eau et des fertilisants, on pourrait amener la plante à continuer de croître en produisant une nouvelle raquette mais cela n'induira vraiment seulement qu'à produire une ramification; l'axe principal ne poussera pas en regard de ce qui lui est fait. Un message génétique dans la plante elle-même prédétermine la somme de croissance que n'importe quel axe effectuera (les humains ont aussi une croissance déterminée en ce qui concerne la taille: nous nous arrêtons de grandir lorsque nous atteignons 1,70 m à 1,80 m: aucune quantité de nourriture, de vitamines ou des extensions ne nous ferons grandir jusqu'à 3 m de haut; malheureusement, notre capacité de croissance en largeur est indéterminée.
Le contrôle génétique de la croissance de l'axe est exprimée chez une variété de Rhipsalis vraiment étonnante. Rhipsalis mesembryanthemoides (figure 6) a de longs axes de 10-20 cm (ils sont définis) et il y a de courtes structures de 1 cm de long chacune, sur toute leur longueur, qui ressemblent au premier coup d’œil à des feuilles en forme de saucisse. Mais ces "feuilles" ont des taches qui sont en fait de minuscules aréoles, ainsi les "feuilles" sont des axes très courts, définis, qui subissent une somme de croissance limitée et soigneusement contrôlée. Rhipsalis capilliformis est tout aussi étonnant: au lieu de 2 types d'axes définis, il y en a toute une série. A partir de la base de la plante, de très longs axes (jusqu'à 50-100 cm) grandissent, mais bien que la plante soit encore saine, ces axes s'arrêtent de croitre et commencent à se ramifier profusément à partir de l'apex. Ce "verticille" (ensemble de pousses rangées en cercle autour d'un axe et s'y insérant à une même hauteur) de nouvelles ramifications s'accroît, puis cesse alors que la plante est encore vigoureuse. Elles n'atteignent jamais la même longueur que les premières ramifications, et s'arrêtent de croître alors qu'elles sont beaucoup plus courtes. Des apex de ces ramifications, de nouveaux groupes de ramifications surgissent, grandissent, puis s'arrêtent de grandir, alors qu'elles sont de même plus courtes que la seconde série, beaucoup plus courtes que la première. Ceci peut être répété avec davantage de série de ramifications. Quand finalement les ultimes séries de minuscules ramifications ont été produites, le processus entier commence: un axe très long, tout neuf, est produit à la base de la plante. A nouveau, ceci est programmé à l'intérieur de la plante; un fertilisant supplémentaire ou de l'eau ne supprimera pas et n'entrainera pas l'accroissement indéfini de la première série de ramifications. Au lieu de cela, il y aura davantage de longues ramifications, avec leurs ramifications plus courtes, etc.
Fig. 6. Il y a 3 types d'axes visibles sur ce Rhipsalis mesembryanthemoides. 1) 2 grands axes définis (celui qui est au premier plan continue à s'accroître), 2) de nombreux axes courts, définis (achevés sur le grand axe à l'arrière plan; à peine visible sur le grand axe au premier plan) et 3) les aréoles sur les axes courts. Les fleurs, si elles avaient été présentent, auraient constitué une 4ème type d'axe.
Pensez à cette croissance localisée à l'apex chez les plantes; nous les humains, nous grandissons par une croissance diffuse - toutes les parties de notre corps poussent simultanément. A un âge donné, tout notre corps est soit immature et s'accroissant ou mature et ne grandissant plus; ceci est la raison de notre taille définie. Les plantes, cependant, avec leur croissance apicale localisée, sont un mélange d'extrémités immatures s'accroissant, et de régions mûres présentes simultanément; elles n'auront pas à cesser de s'accroître pour devenir mûres sur le plan de la reproduction, comme les animaux le font. Même chez les plantes composées d'axes définis, la plante entière est indéfinie, parce que d'année en année, elle produit davantage d'axes.
Considérons ce qu'il arriverait à un Hylocereus s'il avait le type de croissance animale diffuse. Soit sa croissance nécessiterait qu'il ne soit pas enraciné sur toute sa longueur, soit son enracinement l'empêcherait de croître. En d'autres termes, cela ne serait pas un Hylocereus; la croissance apicale localisée est essentielle à son mode de vie.
La croissance apicale des cactées, qui pourrait au début passer complètement inaperçue, est en fait essentielle à leur propre nature; elle a des prolongements importants dans presque tous les aspects de la vie de la plante.